Les bibliothèques : point d’ancrage de la science ouverte

Les bibliothèques font progresser l’enseignement, la recherche et l’apprentissage en fournissant des ressources, en facilitant la découverte et en offrant des conseils spécialisés. Le code source des logiciels devenant de plus en plus central dans la recherche contemporaine, les bibliothèques doivent soutenir les chercheurs et chercheuses qui travaillent avec ces codes. Dans cette série d’entretiens, des professionnels partagent leur approche des logiciels de recherche.
S’il devait retenir une image pour traduire le véritable rôle des bibliothèques dans la science ouverte, Clément Pieyre évoquerait les anneaux olympiques. La bibliothèque universitaire sert en effet de point d’ancrage, au sein d’un écosystème défini par de nombreux acteurs essentiels et interdépendants. Pour le directeur de la bibliothèque Diderot de Lyon (Service commun de la documentation de l’ENS de Lyon):
« Les bibliothèques universitaires forment l’un des maillons essentiels à la mise en œuvre d’une politique publique de science ouverte, en lien avec les impulsions ministérielles, les gouvernances académiques, les équipes de recherche et les publics qui bénéficient d’un accès libre à la connaissance. »
C. Pieyre est par ailleurs référent Science ouverte de l’ENS de Lyon auprès de France Universités. Il siège au Conseil scientifique de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (2023-2025) et est membre de l’Advisory Board d’Ithaka R+S pour la Library Director Survey 2025. De 2022 à 2024, il a été le secrétaire général de l’Association française des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU). Il s’est investi, en tant que membre du jury, dans le concours national de conservateur des bibliothèques d’État (2021-2024). Il revient sur la stratégie adoptée par l’ENS de Lyon pour faire reconnaître les logiciels de recherche comme des productions académiques de premier ordre.
En bref:
- Adoptée en 2023, la feuille de route « Science ouverte » inclut un volet dédié à l’ouverture des données et des codes sources (action 12). Ce document constitue un outil de dialogue entre les directions et les services du campus et peut susciter de nouvelles collaborations.
- L’ENS de Lyon inscrit le SoftWare Hash Identifier (SWHID) dans sa politique des identifiants ouverts.
- La notion de bibliothécaire « hors les murs » est plus que jamais d’actualité.
- L’offre de services dédiés à la gestion des données, codes et logiciels de recherche, se déploie autour de 4 axes : la sensibilisation, l’accompagnement des projets, la structuration de la gouvernance des données des équipes de recherche, le suivi des besoins en lien avec les initiatives locales et nationales.
Avec le recul, quelles sont vos intuitions sur la science ouverte qui se sont concrétisées ?
Je vais mettre là ma casquette d’historien moderniste. Plutôt qu’une intuition, c’est le souhait d’une accessibilité plus grande des résultats de la recherche qui m’a toujours guidé. Publier dans une revue savante à comité de lecture est une chose, donner accès aux fruits de ses travaux au plus grand nombre en est une autre, et cela m’a toujours semblé une évidence.
En tant que directeur de bibliothèque de recherche depuis une quinzaine d’années, j’ai assisté à la montée en puissance de ce nouveau paradigme qu’est la science ouverte : il ne s’agit pas d’une idéation sans traduction concrète, mais de dispositifs adossés à une doctrine publique affirmée avec des enjeux économiques et citoyens.
Pourriez-vous nous décrire votre institution ? Que souhaiteriez-vous que les gens sachent à propos de ses domaines d’expertise et de son impact ?
La Bibliothèque Diderot de Lyon est une bibliothèque d’étude et de recherche en sciences humaines et sociales et sciences exactes et expérimentales. Elle déploie son activité sur les deux campus de l’École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon), dont elle est statutairement depuis 2022 le service commun de la documentation. À ce titre, elle joue un rôle de service pivot pour l’accès à l’information scientifique au bénéfice de ses communautés et bien au-delà, sur le périmètre académique Lyon Saint-Étienne.
Au risque de ne pas être original, je soulignerai combien la Bibliothèque Diderot de Lyon répond à deux missions fondamentales : la réussite étudiante et l’insertion professionnelle, l’accompagnement de la recherche. L’ENS de Lyon se définit comme une école formant par et pour la recherche. La bibliothèque irrigue ce continuum entre formation et recherche, à chacune de ses étapes et en fonction des besoins.
Avec plus d’1,2 million de documents physiques et près de 30 km linéaires de ressources papier en rayonnages, la Bibliothèque Diderot de Lyon est assurément une bibliothèque de collections, sans parler des ressources numériques. Mais elle est bien plus que cela : ces dernières années, elle est devenue une plateforme de services avec, j’aime souvent à le dire, une mission de service public. C’est tout le sens de l’action de ses équipes, composées de près de 80 agents et d’une trentaine de moniteurs étudiants.
Quel rôle la bibliothèque a-t-elle joué dans l’élaboration de la feuille de route « Science ouverte » ”?
J’ai eu le privilège de copiloter un groupe de travail avec Jean-Michel Maillet, physicien très impliqué dans le mouvement pour la science ouverte, puisqu’il est l’un des fondateurs de SciPost, une des premières plateformes éditoriales suivant le modèle diamant.
La Bibliothèque Diderot de Lyon est l’un des principaux services d’appui à la recherche au sein de l’ENS de Lyon, au même titre qu’ENS Éditions, l’Unité d’appui et de recherche Persée ou le Centre Blaise Pascal de simulation et de modélisation numérique. Sa contribution à la feuille de route Science ouverte de l’établissement se retrouve donc dans plusieurs des axes de travail.
Il s’est agi autant de valoriser les actions existantes que de tracer des perspectives pour d’autres initiatives, conformes aux Plans nationaux pour la Science ouverte. La Science ouverte n’est pas à considérer comme une nouvelle activité de la Bibliothèque Diderot de Lyon, mais bien plus comme un prolongement naturel de ses missions.
Quelle est la stratégie de la bibliothèque concernant la gestion des données de recherche et du code source qui y est associé ?
Il s’agit plutôt de la stratégie de l’ENS de Lyon à laquelle la Bibliothèque Diderot de Lyon répond et contribue. La Science ouverte est explicitement mentionnée dans le Projet d’établissement (2025-2028), dans l’axe « Une grande école de recherche reconnue au niveau mondial ».
Concernant la gestion des données, codes et logiciels de recherche, la bibliothèque a présenté une offre de services structurée, discutée en Conseil des directrices et directeurs d’unités de recherche en mai 2025, puis en Conseil documentaire en juillet 2025. Elle déploie cette offre dans quatre directions :
- la sensibilisation, notamment auprès des jeunes chercheurs, en coordination avec les équipes,
- l’accompagnement des projets,
- l’aide à la structuration de la gouvernance des données des unités de recherche et des équipes,
- la veille, le suivi des besoins et le lien avec l’environnement local et national.
Après le lancement de l’atelier de la donnée DATALystE, qui fédère les initiatives à l’échelle du site académique Lyon Saint-Étienne, la prochaine étape concerne la création d’un espace institutionnel ENS de Lyon au sein de Recherche data gouv.
Quelles complémentarités voyez-vous entre Software Heritage et les services de votre institution ?
La feuille de route Science ouverte est encore récente. Les codes sources et logiciels y ont été reconnus comme une production académique de premier ordre, en lien avec Software Heritage comme infrastructure clé pour leur préservation et leur partage. Cela passe par l’adoption du SoftWare Hash Identifier (SWHID) à la politique sur les identifiants ouverts et par des actions de communication.
Une journée de sensibilisation intitulée « Codes, logiciels et science ouverte. Enjeux des licences libres, archivage et traçabilité du code » a par exemple été organisée en octobre 2024 en lien avec Software Heritage et le service valorisation de la Vice-présidence Recherche de l’ENS de Lyon, qui accompagne les auteurs de logiciels et de bases de données dans la diffusion de leurs œuvres en libre accès (déclaration, vérification de la chaine de droits, dépôt à l’Agence pour la Protection des Programmes, choix de licences libres…).
Je me réjouis enfin de la nomination de Simon Delamare, ingénieur de recherche au sein du Laboratoire de l’Informatique du Parallélisme, comme ambassadeur de Software Heritage au sein de l’établissement. La Bibliothèque Diderot de Lyon va pouvoir travailler en étroite association avec lui pour promouvoir et diffuser la culture de la science ouverte en matière de codes sources et logiciels de recherche.
La diversité disciplinaire de laboratoires de haut niveau alliée à la « taille humaine » de l’ENS de Lyon constitue un terrain particulièrement fertile pour tester des modes de fonctionnement entre unités de recherche, bibliothèque et Software Heritage autour des questions de codes sources et logiciels qui pourront enrichir dans un second temps la communauté Software Heritage.
Quelles nouvelles expertises cherchez-vous à développer au sein de vos équipes ?
Ce ne sont pas tant de nouvelles expertises que je cherche à développer qu’une manière renouvelée de travailler. J’aime beaucoup la notion de bibliothécaire « hors les murs ». Les professionnels des bibliothèques disposent déjà de compétences éprouvées en ingénierie documentaire, qu’il s’agisse de métadonnées descriptives ou de modèle économique éditorial.
Connecter notre offre documentaire et de services associés à la recherche en train de se faire implique de connaître l’environnement complexe dans lequel évoluent les équipes de recherche et d’aller au-devant de leurs besoins. Autrement dit, il est plus que jamais nécessaire de sortir de la bibliothèque pour faire valoir un « savoir-faire bibliothécaire ».
À quelles difficultés de communication une bibliothèque peut-elle être confrontée lorsqu’elle évoque les services d’aide à la recherche avec ses partenaires sur le campus ?
Je ne parlerai pas de difficultés de communication à proprement parler, plutôt du besoin de changer la représentation des bibliothèques universitaires. Loin de se résumer à des places assises et des livres à lire ou emprunter, les BU sont aussi des services d’appui à la recherche qui mettent en œuvre les politiques publiques depuis de nombreuses années. Les archives ouvertes ? Les BU. Les identifiants de la recherche ? Les BU. Les accords lecture et publication ? Les BU. Les données de la recherche ? Les BU. Toujours en lien avec les autres services d’appui et les laboratoires évidemment, car l’ADN des BU si je puis dire est de travailler en réseau et en transversalité. Il est donc essentiel de favoriser l’interconnaissance entre directions et services sur le campus. De ce point de vue, la feuille de route Science ouverte a ouvert beaucoup de potentialités.
À venir
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- Consultez les ressources sur la science ouverte produites par Software Heritage
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- Guide pour les modérateur·rices
- Série de vidéos pour déposer facilement son logiciel
- Ressources pour les formateur·rices: se former à accompagner au dépôt logiciel.
- Les demandes de formation (modération, formation de formateur·rices) les sont à adresser au Centre pour la Communication Scientifique Directe :
- sebastien.mazzarese/@/ccsd.cnrs.fr
- Promouvoir le dépôt de logiciel auprès des directions des équipes de recherche
- Lire la feuille de route “Science ouverte” de Software Heritage
Di Cosmo, R., Granger, S., Hinsen, K., Jullien, N., Le Berre, D., Louvet, V., Maumet, C., Maurice, C., Monat, R., & Rougier, N. P. (2025). Stop treating code like an afterthought: Record, share and value it. Nature, 646(8084), 284–286. https://doi.org/10.1038/d41586-025-03196-0